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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Lautrec[1] et quelques jeunes nobles voulaient donner l’assaut aux tribunes.

Bientôt ce fracas était étouffé par un autre : des pétitionnaires, armés de piques, paraissaient à la barre : « Le peuple meurt de faim, disaient-ils ; il est

    Mirabeau-Tonneau, né à Paris le 30 novembre 1754. Élu député de la noblesse par la sénéchaussée de Limoges, il ne cessa de harceler les orateurs du côté gauche, hachant leurs discours d’interruptions sans nombre, toujours spirituelles et souvent grossières. Son frère lui-même n’était pas épargné. Émigré au delà du Rhin, il continua ses escarmouches contre les Révolutionnaires à la tête de cette légion de Mirabeau, qu’il avait créée et qui devint bientôt célèbre sous le nom de hussards de la mort. Il mourut à Fribourg-en-Brisgau le 15 septembre 1792.

  1. Aucun député du nom de Lautrec ne figure sur la liste des membres de la Constituante. Chateaubriand ne s’est pourtant pas trompé en plaçant ici le nom de Lautrec à côté de celui du vicomte de Mirabeau. J’en trouve la preuve dans le billet d’enterrement suivant qui circula dans Paris, le 24 décembre 1789. À la suite d’une double provocation adressée au marquis de la Tour-Maubourg et au duc de Liancourt, Mirabeau-Tonneau avait été blessé dans une première rencontre, et le bruit de sa mort s’était répandu. De là le billet d’enterrement, dont voici un extrait : « Vous êtes prié d’assister aux convoi, service et enterrement de très haut et très puissant aristocrate, André-Boniface-Louis de Riquetti, vicomte de Mirabeau, député de la noblesse du Haut-Limousin, etc., etc., qui, commencé par M. le marquis de la Tour-Maubourg, son collègue, a été achevé par très haut, très puissant et très illustrissime démagogue, François-Alexandre-Frédéric de Liancourt, duc héréditaire, etc., etc., qui a débarrassé la Nation de ce pesant ennemi, au milieu du Champ-de-Mars, le 22 décembre 1789, en présence de MM. de Lautrec de Saint-Simon, de Causans et de La Châtre, et est décédé en son hôtel, rue de Seine, faubourg Saint-Germain, le 23, à 11 heures du matin. L’enterrement se fera en l’église Saint-Sulpice sa paroisse, le 25, à cinq heures du soir… Le Parlement de Rennes y assistera par députation… Le Clergé est invité, et l’on a droit de s’attendre à l’y rencontrer, le défunt a pris trop vivement son parti pour n’avoir pas mérité ce tribut de reconnaissance. La noblesse suivra le deuil, sans manteau, mais en pleureuse… »