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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

guerre civile ; les autres partaient pour l’Ohio, où ils se faisaient précéder de plans de châteaux à bâtir chez les sauvages ; les autres allaient rejoindre les princes : tout cela allègrement, sans avoir souvent un sou dans sa poche : les royalistes affirmant que la chose finirait un de ces matins par un arrêt du parlement, les patriotes, tout aussi légers dans leurs espérances, annonçant le règne de la paix et du bonheur avec celui de la liberté. On chantait :

La sainte chandelle d’Arras,
Le flambeau de la Provence,
S’ils ne nous éclairent pas,
Mettent le feu dans la France ;
On ne peut pas les toucher,
Mais on espère les moucher.

Et voilà comme on jugeait Robespierre et Mirabeau ! « Il est aussi peu en la puissance de toute faculté terrienne, dit l’Estoile, d’engarder le peuple françois de parler, que d’enfouir le soleil en terre ou l’enfermer dedans un trou. »

Le palais des Tuileries, grande geôle remplie de condamnés, s’élevait au milieu de ces fêtes de la destruction. Les sentenciés jouaient aussi en attendant la charrette, la tonte, la chemise rouge qu’on avait mise à sécher, et l’on voyait à travers les fenêtres les éblouissantes illuminations du cercle de la reine.

Des milliers de brochures et de journaux pullulaient ; les satires et les poèmes, les chansons des Actes des Apôtres[1], répondaient à l’Ami du peuple ou

  1. Ce pamphlet périodique, qui renfermait en effet des satires, des poèmes et des chansons, a paru de novembre 1789 à octobre