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XXX
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

pourquoi, ils déroutent et déconcertent le lecteur : ce qui était une beauté est devenu un défaut.

De même qu’il avait mis le meilleur de son art dans ces Prologues, dans ces commencements, de même aussi Chateaubriand s’applique à bien finir ses livres. Chacun d’eux se termine d’ordinaire par des réflexions générales, par des vues d’ensemble, par des traits d’un effet grandiose et poétique. Ce sont de beaux finales, à la condition de venir à la fin du morceau. S’ils viennent au milieu, comme aujourd’hui, ils font l’effet d’une dissonance. Un exemple, entre vingt autres, va permettre d’en juger.

Le livre Ier de la seconde partie des Mémoires est consacré au Génie du Christianisme. L’auteur, après avoir parlé des circonstances dans lesquelles parut son ouvrage, finit par cette belle page :

Si l’influence de mon travail ne se bornait pas au changement que, depuis quarante années, il a produit parmi les générations vivantes ; s’il servait encore à ranimer chez les tard-venus une étincelle des vérités civilisatrices de la terre ; si ce léger symptôme de vie que l’on croit apercevoir s’y soutenait dans les générations à venir, je m’en irais plein d’espérance dans la miséricorde divine. Chrétien réconcilié, ne m’oublie pas dans tes prières, quand je serai parti ; mes fautes m’arrêteront peut-être à ces portes où ma charité avait crié pour toi : « Ouvrez-vous, portes éternelles ! Elevamini, portœ æternales[1] ! »

Dans la pensée de Chateaubriand, le lecteur devait rester sur ces paroles, s’y arrêter au moins le temps nécessaire pour lui donner cette prière, si chrétiennement demandée. Les éditeurs de 1849 ne l’ont pas voulu ; car aussitôt après, et sans que rien l’avertisse qu’ici prend fin un des livres des Mémoires, le lecteur tombe brusquement sur les lignes suivantes :

Ma vie se trouva toute dérangée aussitôt qu’elle cessa d’être à moi. J’avais une foule de connaissances en dehors de ma

  1. Mémoires d’Outre-tombe, tome IV, page 70.