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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Dans l’épinette, il y a un coq favori et pour ainsi dire sacré, qui survit à tous les autres ; il est fameux pour avoir chanté pendant un combat, comme dans la cour d’une ferme au milieu de ses poules.

Sous les ponts habite un chat : peau verdâtre zébrée, queue pelée, moustache de crin, ferme sur ses pattes, opposant le contrepoids au tangage et le balancier au roulis ; il a fait deux fois le tour du monde et s’est sauvé d’un naufrage sur un tonneau. Les mousses donnent au coq du biscuit trempé dans du vin, et Matou a le privilège de dormir, quand il lui plaît, dans le vitchoura du second capitaine.

Le vieux matelot ressemble au vieux laboureur. Leurs moissons sont différentes, il est vrai : le matelot a mené une vie errante, le laboureur n’a jamais quitté son champ ; mais ils connaissent également les étoiles et prédisent l’avenir en creusant leurs sillons. À l’un, l’alouette, le rouge-gorge, le rossignol ; à l’autre, la procellaria, le courlis, l’alcyon, — leurs prophètes. Ils se retirent le soir, celui-ci dans sa cabine, celui-là dans sa chaumière ; frêles demeures, où l’ouragan qui les ébranle n’agite point des consciences tranquilles.

If the wind tempestuous is blowing,
 Still no danger they descry ;
The guiltless heart its boon bestowing,
 Soothes them with its Lullaby, etc., etc.

« Si le vent souffle orageux, ils n’aperçoivent aucun danger ; le cœur innocent, versant son baume, les berce avec ses dodo, l’enfant do ; dodo, l’enfant do, etc. »