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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

moines. Ils nous hélèrent en portugais, en italien, en anglais, en français, et nous répondîmes dans ces quatre langues. L’alarme régnait, notre vaisseau était le premier bâtiment d’un grand port qui eût osé mouiller dans la rade dangereuse où nous étalions la marée. D’une autre part, les insulaires voyaient pour la première fois le pavillon tricolore ; ils ne savaient si nous sortions d’Alger ou de Tunis : Neptune n’avait point reconnu ce pavillon si glorieusement porté par Cybèle. Quand on vit que nous avions figure humaine et que nous entendions ce qu’on disait, la joie fut extrême. Les moines nous recueillirent dans le bateau, et nous ramâmes gaiement vers Santa-Cruz : nous y débarquâmes avec quelque difficulté, à cause d’un ressac assez violent.

Toute l’île accourut. Quatre ou cinq alguazils, armés de piques rouillées, s’emparèrent de nous. L’uniforme de Sa Majesté m’attirant les honneurs, je passai pour l’homme important de la députation. On nous conduisit chez le gouverneur, dans un taudis, où Son Excellence, vêtue d’un méchant habit vert, autrefois galonné d’or, nous donna une audience solennelle : il nous permit le ravitaillement.

Nos religieux nous menèrent à leur couvent, édifice à balcons commode et bien éclairé. Tulloch avait trouvé un compatriote : le principal frère, qui se donnait tous les mouvements pour nous, était un matelot de Jersey, dont le vaisseau avait péri corps et biens sur Graciosa. Sauvé seul du naufrage, ne manquant pas d’intelligence, il se montra docile aux leçons des catéchistes ; il apprit le portugais et quelques mots de latin ; sa qualité d’Anglais militant en sa faveur, on le