Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/413

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pondit : « Je cueillais du thé. » Elle me présenta son panier. « Vous portez ce thé à votre père et à votre mère ? — Mon père est à la pêche avec Guillaumy. — Que faites-vous l’hiver dans l’île ? — Nous tressons des filets, nous pêchons les étangs, en faisant des trous dans la glace ; le dimanche, nous allons à la messe et aux vêpres, où nous chantons des cantiques ; et puis nous jouons sur la neige et nous voyons les garçons chasser les ours blancs. — Votre père va bientôt revenir ? — Oh ! non : le capitaine mène le navire à Gênes avec Guillaumy. — Mais Guillaumy reviendra ? — Oh ! oui, à la saison prochaine, au retour des pêcheurs. Il m’apportera dans sa pacotille un corset de soie rayée, un jupon de mousseline et un collier noir. — Et vous serez parée pour le vent, la montagne et la mer. Voulez-vous que je vous envoie un corset, un jupon et un collier ? — Oh ! non. »

Elle se leva, prit son panier, et se précipita par un sentier rapide, le long d’une sapinière. Elle chantait d’une voix sonore un cantique des Missions :

Tout brûlant d’une ardeur immortelle,
C’est vers Dieu que tendent mes désirs.

Elle faisait envoler sur sa route de beaux oiseaux appelés aigrettes, à cause du panache de leur tête ; elle avait l’air d’être de leur troupe. Arrivée à la mer, elle sauta dans un bateau, déploya la voile et s’assit au gouvernail ; on l’eût prit pour la Fortune : elle s’éloigna de moi.

Oh ! oui, oh ! non, Guillaumy, l’image du jeune matelot sur une vergue, au milieu des vents, chan-