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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tantôt il reculait vers le passé ; et, soit qu’il remontât ou suivît le cours du temps, par sa force prodigieuse, il entraînait ou repoussait les flots. Les hommes ne furent à ses yeux qu’un moyen de puissance ; aucune sympathie ne s’établit entre leur bonheur et le sien : il avait promis de les délivrer, il les enchaîna ; il s’isola d’eux, ils s’éloignèrent de lui. Les rois d’Égypte plaçaient leurs pyramides funèbres, non parmi des campagnes florissantes, mais au milieu des sables stériles ; ces grands tombeaux s’élèvent comme l’éternité dans la solitude : Bonaparte a bâti à leur image le monument de sa renommée.


J’étais impatient de continuer mon voyage. Ce n’étaient pas les Américains que j’étais venu voir, mais quelque chose de tout à fait différent des hommes que je connaissais, quelque chose plus d’accord avec l’ordre habituel de mes idées ; je brûlais de me jeter dans une entreprise pour laquelle je n’avais rien de préparé que mon imagination et mon courage.

Quand je formai le projet de découvrir le passage au nord-ouest, on ignorait si l’Amérique septentrionale s’étendait sous le pôle en rejoignant le Groënland, ou si elle se terminait à quelque mer contiguë à la baie d’Hudson et au détroit de Behring. En 1772, Hearn avait découvert la mer à l’embouchure de la rivière de la Mine-de-Cuivre, par les 71 degrés 15 minutes de latitude nord, et les 119 degrés 15 minutes de longitude ouest de Greenwich[1].

  1. Latitude et longitude reconnues aujourd’hui trop fortes de 4 degrés 1/4. (Note de Genève, 1832.) Ch.