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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

meuré à New-York après le départ de notre armée, il se résolut d’enseigner les beaux-arts aux Américains. Ses vues s’étant agrandies avec le succès, le nouvel Orphée porta la civilisation jusque chez les hordes sauvages du Nouveau-Monde. En me parlant des Indiens, il me disait toujours : « Ces messieurs sauvages et ces dames sauvagesses. » Il se louait beaucoup de la légèreté de ses écoliers ; en effet, je n’ai jamais vu faire de telles gambades. M. Violet, tenant son petit violon entre son menton et sa poitrine, accordait l’instrument fatal ; il criait aux Iroquois : À vos places ! Et toute la troupe sautait comme une bande de démons[1].

N’était-ce pas une chose accablante pour un disci-

    6 000 hommes, au secours des Insurgents, et contribua puissamment à leurs succès. Nommé maréchal de France en 1791, puis investi, la même année, du commandement de l’armée du Nord, il tenta vainement d’y rétablir la discipline et donna sa démission au mois de mai 1792. Il mourut le 10 mai 1807.

  1. Cette jolie page sur M. Violet, maître de danse chez les Iroquois, avait déjà paru dans l’Itinéraire, tome II, p 201. En arrivant à Tunis, le 18 janvier 1807, Chateaubriand tomba au milieu d’un bal donné par le consul de France, M. Devoise. « Le caractère national, dit-il, ne peut s’effacer. Nos marins disent que, dans les colonies nouvelles, les Espagnols commencent par bâtir une église, les Anglais une taverne, et les Français un fort ; et j’ajoute une salle de bal. Je me trouvais en Amérique, sur la frontière du pays des sauvages : j’appris qu’à la première journée je rencontrerais parmi les Indiens un de mes compatriotes. Arrivé chez les Cayougas, tribu qui faisait partie de la nation des Iroquois, mon guide me conduisit dans une forêt. Au milieu de cette forêt on voyait une espèce de grange ; je trouvai dans cette grange une vingtaine de sauvages, hommes et femmes… » Vient alors le récit du bal, avec la peinture de M. Violet, en veste de droguet et en habit vert-pomme. Chateaubriand avait écrit là une page de ses Mémoires ; force lui était bien de la reprendre pour la remettre ici à sa vraie place.