Page:Chateaubriand - Mémoires d’outre-tombe t1.djvu/442

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Cette page a été validée par deux contributeurs.
374
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

mes des sonnettes au cou de nos chevaux et nous les lâchâmes dans les bois près de notre camp : ils ne s’en éloignèrent pas.

Lorsque, quinze ans plus tard, je bivaquais dans les sables du désert du Sabba, à quelques pas du Jourdain, au bord de la mer Morte, nos chevaux, ces fils légers de l’Arabie, avaient l’air d’écouter les contes du scheick, et de prendre part à l’histoire d’Antar et du cheval de Job[1].

Il n’était guère que quatre heures après midi lorsque nous fûmes huttés. Je pris mon fusil et j’allai flâner dans les environs. Il y avait peu d’oiseaux. Un couple solitaire voltigeait seulement devant moi, comme ces oiseaux que je suivais dans mes bois paternels ; à la couleur du mâle, je reconnus le passereau blanc, passer nivalis des ornithologistes. J’entendis aussi l’orfraie, fort bien caractérisée par sa

  1. Il y a encore là un souvenir de l’Itinéraire, souvenir qui se rapporte à la page suivante : « Tout ce qu’on dit de la passion des Arabes pour les contes est vrai, et j’en vais citer un exemple : pendant la nuit que nous venions de passer sur la grève de la mer Morte, nos Bethléémites étaient assis autour de leur bûcher, leurs fusils couchés à terre à leurs côtés, les chevaux attachés à des piquets, formant un second cercle en dehors. Après avoir bu le café et parlé beaucoup ensemble, ces Arabes tombèrent dans le silence, à l’exception du scheick. Je voyais à la lueur du feu ses gestes expressifs, sa barbe noire, ses dents blanches, les diverses formes qu’il donnait à son vêtement en continuant son récit. Ses compagnons l’écoutaient dans une attention profonde, tous penchés en avant, le visage sur la flamme, tantôt poussant un cri d’admiration, tantôt répétant avec emphase les gestes du conteur ; quelques têtes de chevaux qui s’avançaient au dessus de la troupe, et qui se dessinaient dans l’ombre, achevaient de donner à ce tableau le caractère le plus pittoresque, surtout lorsqu’on y joignait un coin du paysage de la mer Morte et des montagnes de Judée. » Itinéraire, Tome I, p. 336.