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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

et pleins de sang, ce champion du Nouveau Monde devint aussi redoutable à voir qu’à combattre, sur le rivage qu’il défendit pied à pied contre les envahisseurs.

Le sachem des Onondagas était un vieil Iroquois dans toute la rigueur du mot ; sa personne gardait la tradition des anciens temps du désert.

Les relations anglaises ne manquent jamais d’appeler le sachem indien the old gentleman. Or, le vieux gentilhomme est tout nu ; il a une plume ou une arête de poisson passée dans ses narines, et couvre quelquefois sa tête, rase et ronde comme un fromage, d’un chapeau bordé à trois cornes, en signe d’honneur européen. Velly ne peint-il pas l’histoire avec la même vérité ? Le cheftain franc Khilpérick se frottait les cheveux avec du beurre aigre, infundens acido comam butyro, se barbouillait les joues de vert, et portait une jaquette bigarrée ou un sayon de peau de bête ; il est représenté par Velly comme un prince magnifique jusqu’à l’ostentation dans ses meubles et dans ses équipages, voluptueux jusqu’à la débauche, croyant à peine en Dieu, dont les ministres étaient le sujet de ses railleries.

Le sachem Onondagas me reçut bien et me fit asseoir sur une natte. Il parlait anglais et entendait le français ; mon guide savait l’iroquois : la conversation fut facile. Entre autres choses, le vieillard me dit que, quoique sa nation eût toujours été en guerre avec la mienne, il l’avait toujours estimée. Il se plaignit des Américains ; il les trouvait injustes et avides, et regrettait que dans le partage des terres indiennes sa tribu n’eût pas augmenté le lot des Anglais.