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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dans le calme de la nuit, se prolongeaient de désert en désert, et expiraient à travers les forêts solitaires. C’est dans ces nuits que m’apparut une muse inconnue ; je recueillis quelques-uns de ses accents ; je les marquai sur mon livre, à la clarté des étoiles, comme un musicien vulgaire écrirait les notes que lui dicterait quelque grand maître des harmonies.

Le lendemain, les Indiens s’armèrent, les femmes rassemblèrent les bagages. Je distribuai un peu de poudre et de vermillon à mes hôtes. Nous nous séparâmes en touchant nos fronts et notre poitrine. Les guerriers poussèrent le cri de marche et partirent en avant ; les femmes cheminèrent derrière, chargées des enfants qui, suspendus dans des fourrures aux épaules de leurs mères, tournaient la tête pour nous regarder. Je suivis des yeux cette marche jusqu’à ce que la troupe entière eût disparu entre les arbres de la forêt.

Les sauvages du Saut de Niagara dans la dépendance des Anglais, étaient chargés de la police de la frontière de ce côté. Cette bizarre gendarmerie, armée d’arcs et de flèches, nous empêcha de passer. Je fus obligé d’envoyer le Hollandais au fort de Niagara chercher un permis afin d’entrer sur les terres de la domination britannique. Cela me serrait un peu le cœur, car il me souvenait que la France avait jadis commandé dans le Haut comme dans le Bas-Canada. Mon guide revint avec le permis : je le conserve encore ; il est signé ; le capitaine Gordon. N’est-il pas singulier que j’aie retrouvé le même nom anglais sur la porte de ma cellule à Jérusalem ? « Treize pèlerins avaient écrit leurs noms sur la porte en dedans de la chambre : le premier s’appelait Charles Lombard, et il se