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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Si jamais je publie les stromates ou bigarrures de ma jeunesse, pour parler comme saint Clément d’Alexandrie[1], on y verra Mila[2].


Les Canadiens ne sont plus tels que les ont peints Cartier, Champlain, La Hontan, Lescarbot, Lafitau, Charlevoix et les Lettres édifiantes : le XVIe siècle et le commencement du XVIIe étaient encore le temps de la grande imagination et des mœurs naïves : la merveille de l’une reflétait une nature vierge, et la candeur des autres reproduisait la simplicité du sauvage. Champlain, à la fin de son premier voyage au Canada, en 1603, raconte que « proche de la baye des Chaleurs, tirant au sud, est une isle, où fait résidence un monstre épouvantable que les sauvages appellent Gougou. » Le Canada avait son géant comme le cap des Tempêtes avait le sien. Homère est le véritable père de toutes ces inventions ; ce sont toujours les Cyclopes, Charybde et Scylla, ogres ou gougous.

La population sauvage de l’Amérique septentrionale, en n’y comprenant ni les Mexicains ni les Esquimaux, ne s’élève pas aujourd’hui à quatre cent mille âmes, en deçà et au delà des montagnes Rocheuses ; des voyageurs ne la portent même qu’à

  1. De Saint-Clément d’Alexandrie, un des pères de l’Église grecque, il nous reste, entre autres ouvrages Στρωματεῒϛ, les Stromates (tapisseries), recueil en huit livres de pensées chrétiennes et de maximes philosophiques, placées sans ordre et sans liaison, de même que dans une prairie, selon l’expression de l’auteur, les fleurs se mêlent et se confondent.
  2. Ceci était écrit en 1822, et les Natchez n’avaient pas encore paru. L’auteur ne devait les publier qu’en 1826. Mila, l’une des héroïnes du poème, est peut-être la plus charmante création de Chateaubriand.