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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

femmes du Gange. Ces deux Floridiennes, cousines du côté paternel, m’ont servi de modèles, l’une pour Atala, l’autre pour Céluta : elles surpassaient seulement les portraits que j’en ai faits par cette vérité de nature variable et fugitive, par cette physionomie de race et de climat que je n’ai pu rendre. Il y avait quelque chose d’indéfinissable dans ce visage ovale, dans ce teint ombré que l’on croyait voir à travers une fumée orangée et légère, dans ces cheveux si noirs et si doux, dans ces yeux si longs, à demi cachés sous le voile de deux paupières satinées qui s’entr’ouvraient avec lenteur ; enfin, dans la double séduction de l’Indienne et de l’Espagnole.

La réunion à nos hôtes changea quelque peu nos allures ; nos agents de traite commencèrent à s’enquérir des chevaux : il fut résolu que nous irions nous établir dans les environs des haras.

La plaine de notre camp était couverte de taureaux, de vaches, de chevaux, de bisons, de buffles, de grues, de dindes, de pélicans : ces oiseaux marbraient de blanc, de noir et de rose le fond vert de la savane.

Beaucoup de passions agitaient nos trafiquants et nos chasseurs : non des passions de rang, d’éducation, de préjugés, mais des passions de la nature, pleines, entières, allant directement à leur but, ayant pour témoins un arbre tombé au fond d’une forêt inconnue, un vallon inretrouvable, un fleuve sans nom. Les rapports des Espagnols et des femmes creekes faisaient le fond des aventures : les Bois-brûlés jouaient le rôle principal dans ces romans. Une histoire était célèbre, celle d’un marchand d’eau-de-vie