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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Elles portaient la jupe courte et les grosses manches tailladées à l’espagnole, le corset et le manteau indiens. Leurs jambes nues étaient losangées de dentelles de bouleau. Elles nattaient leurs cheveux avec des bouquets ou des filaments de joncs ; elles se maillaient de chaînes et de colliers de verre. À leurs oreilles pendaient des graines empourprées ; elles avaient une jolie perruche qui parlait : oiseau d’Armide ; elles l’agrafaient à leur épaule en guise d’émeraude, ou la portaient chaperonnée sur la main comme les grandes dames du Xe siècle portaient l’épervier. Pour s’affermir le sein et les bras, elles se frottaient avec l’apoya ou souchet d’Amérique. Au Bengale, les bayadères mâchent le bétel, et, dans le Levant, les almées sucent le mastic de Chio ; les Floridiennes broyaient, sous leurs dents d’un blanc azuré, des larmes de liquidambar et des racines de libanis, qui mêlaient la fragrance de l’angélique, du cédrat et de la vanille. Elles vivaient dans une atmosphère de parfums émanés d’elles, comme des orangers et des fleurs dans les pures effluences de leur feuille et de leur calice. Je m’amusais à mettre sur leur tête quelque parure : elles se soumettaient, doucement effrayées ; magiciennes, elles croyaient que je leur faisais un charme. L’une d’elles, la fière, priait souvent ; elle me paraissait demi-chrétienne. L’autre chantait avec une voix de velours, poussant à la fin de chaque phrase un cri qui troublait. Quelquefois elles se parlaient vivement : je croyais démêler des accents de jalousie, mais la triste pleurait, et le silence revenait.

Faible que j’étais, je cherchais des exemples de