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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ministre. L’affaire en resta là. Elle fut reprise trois ans plus tard, en 1831, par un jeune poète, M. Hippolyte La Morvonnais. Sur sa requête, le Conseil municipal décida de demander à l’État les quelques pieds de terre nécessaires à la sépulture du grand écrivain ; il se chargerait de plus des frais de la tombe. Au maire, M. Hovius, qui lui avait transmis la délibération du Conseil, Chateaubriand répondit par la lettre suivante :

Il me serait impossible de vous exprimer l’émotion que j’ai éprouvée en recevant la lettre que vous m’avez fait l’honneur de m’écrire. Avant d’entrer dans quelques détails, je m’empresse d’abord, Monsieur, de satisfaire au devoir de la reconnaissance, en vous priant d’offrir mes remerciements les plus sincères à MM. les membres du conseil municipal et d’agréer vous-même dans ces remerciements la part qui vous est si justement due.

Je n’avais jamais prétendu et je n’aurais jamais osé espérer, Monsieur, que ma ville natale se chargeât des frais de ma tombe. Je ne demandais qu’à acheter un morceau de terre de vingt pieds de long sur douze de large, à la pointe occidentale du Grand-Bé. J’aurais entouré cet espace d’un mur à fleur de terre, lequel aurait été surmonté d’une simple grille de fer peu élevée, pour servir non d’ornement, mais de défense à mes cendres. Dans l’intérieur je ne voulais placer qu’un socle de granit taillé dans les rochers de la grève. Ce socle aurait porté une petite croix de fer. Du reste, point d’inscription, ni nom, ni date. La croix dira que l’homme reposant à ses pieds était un chrétien : cela suffira à ma mémoire.

Je ne suis revenu, Monsieur, que momentanément en France ; il est probable que je mourrai en terre étrangère[1]. Si la ville qui m’a vu naître m’octroie le terrain dont je sollicitais la concession, ou si elle maintient la résolution si glorieuse pour moi, de s’occuper de ces soins funèbres, j’ordonnerai par mon testament de rapporter mon cercueil auprès de mon berceau, quel que soit le lieu où il plaise à la Providence de disposer de ma vie. Dans le cas où mes concitoyens persisteraient dans leur dessein généreux, je les supplie de ne rien changer à mon plan de sépulture et de faire bénir par le curé de Saint-Malo le lieu de mon repos, après l’avoir préparé.

Je ne puis, Monsieur, que vous renouveler, en finissant cette

  1. Chateaubriand s’était alors fixé à Genève.