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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

des images presque effacées par le temps. François regrette Francillon, ses petits camarades et les heures de l’enfance qui ne portent ni le poids du passé, ni les inquiétudes de l’avenir. Hélas ! mes chères bruyères de Bretagne, je ne les reverrai jamais ! Mais si je meurs en terre étrangère, comme la chose est probable, j’ai demandé et obtenu que mes os fussent rapportés dans ma patrie, et j’entends par patrie cette pauvre Armorique où j’ai été le compagnon de vos jeux. Convenez, Monsieur, que nous étions des polissons bien heureux, à Dinan, et que la gloire (si gloire il y a), et ses prétentailles, et nos vieilles années, et tout ce que nous avons vu, ne valent pas une partie de barres au bord de la Rance. Je ne sais pas si vous étiez là un jour que j’ai pensé me noyer en apprenant à nager dans cette rivière ? Vous seriez venu à mon enterrement, et vous auriez pour jamais oublié mon nom : voilà comme la Providence dispose de chaque homme. Dans ce temps-là, Monsieur, je vous aurais écrit de ma propre main : aujourd’hui j’ai la goutte à cette ancienne jeune main que vous avez serrée, et je suis obligé de dicter ma lettre. Mais, Monsieur, vous n’y perdrez rien, car je n’ai jamais pu apprendre à écrire, et c’est toujours comme si je barbouillais la matière d’un thème latin sous la dictée de l’abbé Duhamel.

Sans plus de façon, Monsieur le juge de paix démissionnaire après expérience, ma seigneurie, qui n’a point prêté serment et qui n’a trahi personne, vous renouvelle toutes ses amitiés de collège, bien supérieures à la considération très distinguée avec laquelle j’aurais l’honneur d’être,

Votre très humble et très obéissant serviteur,
Chateaubriand.

VI

récits de la veillée[1]


Après avoir dit que « les gens du château étaient persuadés qu’un certain comte de Combourg, à jambe de bois, mort depuis trois siècles, apparaissait à certaines époques », Chateaubriand ajoute : « Ces récits occupaient

  1. Ci-dessus, p. 136.