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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tères. Arrivé au pied de l’autel, le pèlerin ôte son capuchon et montre au moine une tête de mort : « Tu m’as donné une place à tes côtés, dit le pèlerin ; à mon tour, je te donne une place sur mon lit de cendres ![1] »

Qui retrouvera le manuscrit de 1834 ? Qui nous rendra ces merveilleuses histoires, la légende du Moine et du Pèlerin, et celle du Sire de Beaumanoir et de Jehan de Tinténiac ? À leur défaut, voici du moins deux histoires de revenants et de voleurs que la copie de 1826 nous a très heureusement conservées :

Deux faits mieux prouvés venaient mêler, pour ma mère et pour Lucile, la crainte des voleurs à celle des revenants et de la nuit. Il y avait quelques années que mes quatre sœurs, alors fort jeunes, se trouvaient seules à Combourg avec mon père. Une nuit, elles étaient occupées à lire ensemble la mort de Clarisse ; déjà tout effrayées des détails de cette mort, elles entendent distinctement des pas d’homme dans l’escalier de la tour qui conduisait à leur appartement. Il était une heure du matin. Épouvantées, elles éteignent la lumière et se précipitent dans leurs lits. On approche, on arrive à la porte de leur chambre, on s’arrête un moment comme pour écouter, ensuite on s’engage dans un escalier dérobé qui communiquait à la chambre de mon père ; quelque temps après on revient, on traverse de nouveau l’antichambre, et le bruit des pas s’éloigne, s’évanouit dans la profondeur du château.

Mes sœurs n’osaient parler de l’aventure le lendemain, car elles craignaient que le revenant ou le voleur ne fût mon père lui-même qui avait voulu les surprendre. Il les mit à l’aise en leur demandant si elles n’avaient rien entendu. Il raconta qu’on était venu à la porte de l’escalier secret de sa chambre et qu’on l’eût ouverte sans un coffre qui se trouvait par hasard devant cette porte. Éveillé en sursaut, il avait pris ses pistolets ; mais, le bruit cessant, il avait cru s’être trompé et il s’était rendormi. Il est probable qu’on avait voulu l’assassiner. Les soupçons tombèrent sur un de ses domestiques. Il est certain qu’un homme à qui le château eût été inconnu, n’aurait pas pu trouver l’escalier dérobé par où l’on descendait dans la chambre de mon père. Une autre fois, dans une soirée du mois de décembre, mon père écrivait auprès du feu dans la grande salle. On ouvre

  1. Revue de Paris, mars 1834.