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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

fort injurieuse. Soupçonné d’en être l’auteur, arrêté et conduit à la Bastille, il avoua que la lettre était de sa main. Comme ce Bouquerel paraissait avoir eu des relations avec M. de La Chalotais, on résolut de joindre son affaire à celle du procureur général, et il fut ramené à Rennes. Il devait y être incarcéré aux Cordeliers, couvent voisin du Palais du Parlement ; mais les préparatifs nécessaires pour le recevoir n’étant pas complètement terminés, on le déposa, pour une nuit, dans l’hôpital de Saint-Méen, maison de force semblable à celle de Charenton.

Le supérieur de Saint-Méen était un prêtre du nom de Clémenceau. Il avait été jésuite dans sa jeunesse, mais depuis 1740, c’est-à-dire depuis plus de vingt-cinq ans, il était sorti de la « Société ». Il garda, durant une nuit, l’accusé Bouquerel, et quand celui-ci, transféré aux Cordeliers, demanda à se confesser, ce fut M. Clémenceau que l’autorité militaire fit venir.

Aux Cordeliers, le supérieur de Saint-Méen fut en rapports avec un officier de dragons du nom de des Fournaux, qui se trouvait préposé à la garde de Bouquerel. C’était un homme très brave, qui avait sauvé son colonel sur le champ de bataille. Dans une affaire, il avait reçu, disait-on, quatorze coups de sabre sur la tête. Il en avait gardé l’esprit un peu faible, et il perdit tout son sang-froid, quand il se vit en présence d’un prisonnier comme Bouquerel, lequel, depuis son entrée aux Cordeliers, avait des accès de folie réels ou simulés. M. Clémenceau lui demanda s’il voulait se charger de la malle de Bouquerel et d’une bourse trouvée sur lui. Des Fourneaux refusa et le prêtre dut alors s’adresser à l’intendant, qui l’autorisa à déposer l’argent et la malle au greffe criminel du Parlement.

Voilà les faits tels qu’ils furent racontés par Clémenceau et admis par le Parlement qui, après enquête, les reconnut vrais. De ces faits très simples allait sortir tout un roman.