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XLVI
MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

temporains d’une longue renommée. Altieri, Canova et Monti ont disparu ; de ses jours brillants, L’Italie ne conserve que Pindemonte et Manzoni. Pellico a usé ses belles années dans les cachots du Spielberg ; les talents de la patrie de Dante sont condamnés au silence, ou forcés de languir en terre étrangère ; lord Byron et M. Canning sont morts jeunes ; Walter Scott nous a laissés ; Goëthe nous a quittés rempli de gloire et d’années. La France n’a presque plus rien de son passé si riche, elle commence une autre ère : je reste pour enterrer mon siècle, comme le vieux prêtre qui, dans le sac de Béziers, devait sonner la cloche avant de tomber lui-même, lorsque le dernier citoyen aurait expiré.

Quand la mort baissera la toile entre moi et le monde, on trouvera que mon drame se divise en trois actes.

Depuis ma première jeunesse jusqu’en 1800, j’ai été soldat et voyageur ; depuis 1800 jusqu’en 1814, sous le consulat et l’empire, ma vie a été littéraire ; depuis la restauration jusqu’aujourd’hui, ma vie a été politique.

Dans mes trois carrières successives, je me suis toujours proposé une grande tâche : voyageur, j’ai aspiré à la découverte du monde polaire ; littérateur, j’ai essayé de rétablir la religion sur ses ruines ; homme d’état, je me suis efforcé de donner au peuple le vrai système monarchique représentatif avec ses diverses libertés : j’ai du moins aidé à conquérir celle qui les vaut, les remplace, et tient lieu de toute constitution, la liberté de la presse. Si j’ai souvent échoué dans mes entreprises, il y a eu chez moi faillance de des-