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XLIX
PRÉFACE TESTAMENTAIRE

que j’y songeasse, par l’inconstance même des tempêtes déchaînées contre ma barque, et qui souvent ne m’ont laissé pour écrire tel ou tel fragment de ma vie que l’écueil de mon naufrage.

J’ai mis à composer ces Mémoires une prédilection toute paternelle, je désirerais pouvoir ressusciter à l’heure des fantômes pour en corriger les épreuves : les morts vont vite.

Les notes qui accompagnent le texte sont de trois sortes : les premières, rejetées à la fin des volumes, comprennent les éclaircissements et pièces justificatives ; les secondes, au bas des pages, sont de l’époque même du texte ; les troisièmes, pareillement au bas des pages, ont été ajoutées depuis la composition de ce texte, et portent la date du temps et du lieu où elles ont été écrites. Un an ou deux de solitude dans un coin de la terre suffiraient à l’achèvement de mes Mémoires ; mais je n’ai eu de repos que durant les neuf mois où j’ai dormi la vie dans le sein de ma mère : il est probable que je ne retrouverai ce repos avant-naître, que dans les entrailles de notre mère commune après-mourir.

Plusieurs de mes amis m’ont pressé de publier à présent une partie de mon histoire ; je n’ai pu me rendre à leur vœu. D’abord, je serais, malgré moi, moins franc et moins véridique ; ensuite, j’ai toujours supposé que j’écrivais assis dans mon cercueil. L’ouvrage a pris de là un certain caractère religieux que je ne lui pourrais ôter sans préjudice ; il m’en coûterait d’étouffer cette voix lointaine qui sort de la tombe et que l’on entend dans tout le cours du récit. On ne trouvera pas étrange que je garde quelques faiblesses,