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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

un beau regard qui souriait dans l’ombre de ses années. Elle habitait, au décès de son mari, Le manoir de La Villeneuve, dans les environs de Dinan. Toute la fortune de mon aïeule ne dépassait pas 5 000 livres de rente, dont l’aîné de ses fils emportait les deux tiers, 3 333 livres : restaient 1 666 livres de rente pour les trois cadets, sur laquelle somme l’aîné prélevait encore le préciput.

Pour comble de malheur, ma grand’mère fut contrariée dans ses desseins par le caractère de ses fils : l’aîné, François-Henri, à qui le magnifique héritage de la seigneurie de La Villeneuve était dévolu, refusa de se marier et se fit prêtre ; mais au lieu de quêter les bénéfices que son nom lui aurait pu procurer, et avec lesquels il aurait soutenu ses frères, il ne sollicita rien par fierté et par insouciance. Il s’ensevelit dans une cure de campagne et fut successivement recteur de Saint-Launeuc et de Merdrignac[1], dans le diocèse de Saint-Malo. Il avait la passion de la poésie ; j’ai vu bon nombre de ses vers. Le caractère joyeux de cette espèce de noble Rabelais, le culte que ce prêtre chrétien avait voué aux Muses dans un presbytère, excitaient la curiosité. Il donnait tout ce qu’il avait et mourut insolvable[2].

Le quatrième frère de mon père, Joseph, se rendit

  1. Avant d’être recteur de Saint-Launeuc et de Merdrignac, il avait été prieur de Bécherel (en 1747).
  2. Le Manuscrit de 1826 entrait ici, sur François-Henri de Chateaubriand, seigneur de la Villeneuve, dans les détails qui suivent : « Ce singulier curé fut adoré par ses paroissiens. Son nom, illustre en Bretagne, excitait d’abord l’étonnement ; ensuite son caractère joyeux, le culte que cette autre espèce de Rabelais avait voué aux Muses dans un presbytère attirait à lui, on venait le voir de toutes parts ; il donnait tout ce qu’il avait, et n’était,