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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

formée en auberge[1]. La chambre où ma mère accoucha domine une partie déserte des murs de la ville, et à travers les fenêtres de cette chambre on aperçoit une mer qui s’étend à perte de vue, en se brisant sur des écueils. J’eus pour parrain, comme on le voit dans mon extrait de baptême, mon frère, et pour marraine la comtesse de Plouër, fille du maréchal de Contades[2]. J’étais presque mort quand je vins au jour. Le mugissement des vagues, soulevées par une bourrasque annonçant l’équinoxe d’automne, empêchait d’entendre mes cris : on m’a souvent conté ces détails ; leur tristesse ne s’est jamais effacée de ma mémoire. Il n’y a pas de jour où, rêvant à ce que j’ai été, je ne revoie en pensée le rocher sur lequel je suis né, la chambre où ma mère m’infligea la vie, la tempête dont le bruit berça mon premier sommeil[3], le frère infortuné qui

  1. En 1780, M. Magon de Boisgarein vendit cette maison à M. Dupuy-Fromy, et peu de temps après elle fut occupée par M. Chenu, qui en fit une auberge. Sa destination, depuis plus d’un siècle, n’a pas changé. L’un des trois corps de logis dont est actuellement composé l’Hôtel de France et de Chateaubriand, celui qui est le plus avancé dans la rue, est la maison natale du grand écrivain.
  2. Françoise-Gertrude de Contades, fille de Louis-Georges-Erasme de Contades, maréchal de France, et de Nicole Magon de la Lande. Elle avait épousé en 1747 Jean-Pierre de la Haye, comte de Plouër, colonel de dragons.
  3. Chateaubriand n’a point imaginé cette tempête romantique, qui éclate pourtant si à propos à l’heure même de sa naissance. M. Charles Cunat, le savant et consciencieux archiviste de Saint-Malo, confirme de la façon la plus précise, dans son écrit de 1850, l’exactitude de tous les détails donnés par le grand poète : « En effet, dit-il, une pluie opiniâtre durait depuis près de deux mois ; plusieurs coups de vent qu’on avait éprouvés n’avaient pas changé l’état de l’atmosphère ; ce temps pluvieux jetait l’alarme dans le pays ; ce fut dans la nuit de samedi à dimanche, à l’approche du dernier quartier de la lune, qu’eut lieu la tem-