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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ration immédiate, on était déclaré Jacobin. Deux vieux évêques, qui avaient un faux air de la mort, se promenaient au printemps dans le parc Saint-James : « Monseigneur, disait l’un, croyez-vous que nous soyons en France au mois de juin ? — Mais, monseigneur, répondait l’autre après avoir mûrement réfléchi, je n’y vois pas d’inconvénient. »

L’homme aux ressources, Peltier, me déterra, ou plutôt me dénicha dans mon aire. Il avait lu dans un journal de Yarmouth qu’une société d’antiquaires s’allait occuper d’une histoire du comté de Suffolk, et qu’on demandait un Français capable de déchiffrer des manuscrits français du XIIe siècle, de la collection de Camden[1]. Le parson, ou ministre, de Beccles, était à la tête de l’entreprise, c’était à lui qu’il se fallait adresser. « Voilà votre affaire, me dit Peltier, partez, vous déchiffrerez ces vieilles paperasses ; vous continuerez à envoyer de la copie de l’Essai à Baylis ; je forcerai ce pleutre à reprendre son impression ; vous reviendrez à Londres avec deux cents guinées, votre ouvrage fait, et vogue la galère ! »

Je voulus balbutier quelques objections : « Eh ! que diable, s’écria mon homme, comptez-vous rester dans ce palais où j’ai déjà un froid horrible ? Si Rivarol, Champcenetz[2], Mirabeau-Tonneau et moi avions eu

  1. William Camden (1551-1623), surnommé le Pausanias et le Strabon anglais. Il avait rassemblé un nombre considérable de manuscrits du moyen âge, qui composent ce qu’on appelle encore aujourd’hui la Collection Camden.
  2. Le chevalier de Champcenetz (1759-1794) fut le principal rédacteur des Actes des Apôtres. Il écrivit aussi dans le Petit Journal de la Cour et de la Ville, et, de concert avec Rivarol, publia en 1790 le Petit Almanach des grands hommes de la