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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

rois morts au visage des rois vivants pour les aveugler ; la nouvelle France, glorieuse de ses nouvelles libertés, fière même de ses crimes, stable sur son propre sol, tout en reculant ses frontières, doublement armée du glaive du bourreau et de l’épée du soldat.

Au milieu de mes chagrins de famille, quelques lettres de mon ami Hingant vinrent me rassurer sur son sort, lettres d’ailleurs fort remarquables : il m’écrivait au mois de septembre 1795 : « Votre lettre du 23 août est pleine de la sensibilité la plus touchante. Je l’ai montrée à quelques personnes qui avaient les yeux mouillés en la lisant. J’ai été presque tenté de leur dire ce que Diderot disait le jour que J.-J. Rousseau vint pleurer dans sa prison, à Vincennes : Voyez comme mes amis m’aiment. Ma maladie n’a été, au vrai, qu’une de ces fièvres de nerfs qui font beaucoup souffrir, et dont le temps et la patience sont les meilleurs remèdes. Je lisais pendant cette fièvre des extraits du Phédon et du Timée. Ces livres-là donnent appétit de mourir, et je disais comme Caton :

« It must be so, Plato ; thou reason’ st well !


« Je me faisais une idée de mon voyage, comme on se ferait une idée d’un voyage aux grandes Indes. Je me représentais que je verrais beaucoup d’objets nouveaux dans le monde des esprits (comme l’appelle Swedenborg), et surtout que je serais exempt des fatigues et des dangers du voyage. »


À quatre lieues de Beccles, dans une petite ville appelée Bungay, demeurait un ministre anglais, le