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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

admiratif pour les suffisances qui se proclament intelligences supérieures, mon mépris caché rit et place sur tous ces visages enfumés d’encens des masques de Callot. En politique, la chaleur de mes opinions n’a jamais excédé la longueur de mon discours ou de ma brochure. Dans l’existence intérieure et théorique, je suis l’homme de tous les songes ; dans l’existence extérieure et pratique, l’homme des réalités. Aventureux et ordonné, passionné et méthodique, il n’y a jamais eu d’être à la fois plus chimérique et plus positif que moi, de plus ardent et de plus glacé ; androgyne bizarre, pétri des sangs divers de ma mère et de mon père.

Les portraits qu’on a faits de moi, hors de toute ressemblance, sont principalement dus à la réticence de mes paroles. La foule est trop légère, trop inattentive pour se donner le temps, lorsqu’elle n’est pas avertie, de voir les individus tels qu’ils sont. Quand, par hasard, j’ai essayé de redresser quelques-uns de ces faux jugements dans mes préfaces, on ne m’a pas cru. En dernier résultat, tout m’étant égal, je n’insistais pas ; un comme vous voudrez m’a toujours débarrassé de l’ennui de persuader personne ou de chercher à établir une vérité. Je rentre dans mon for intérieur, comme un lièvre dans son gîte : là je me remets à contempler la feuille qui remue ou le brin d’herbe qui s’incline.

Je ne me fais pas une vertu de ma circonspection invincible autant qu’involontaire : si elle n’est pas une fausseté, elle en a l’apparence ; elle n’est pas en harmonie avec des natures plus heureuses, plus aimables, plus faciles, plus naïves, plus abondantes, plus com-