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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ergoteur, roide et hirsute, l’ancien député de la noblesse de Riom se permet néanmoins des condescendances au pouvoir ; il sait ménager ses intérêts, mais il ne souffre pas qu’on s’en aperçoive, et met à l’abri ses faiblesses d’homme derrière son honneur de gentilhomme. Je ne veux point dire du mal de mon Auvernat fumeux, avec ses romances du Mont-d’Or et sa polémique de la Plaine ; j’ai du goût pour sa personne hétéroclite. Ses longs développements obscurs et tournoiements d’idées, avec parenthèses, bruits de gorge et oh ! oh ! chevrotants, m’ennuient (le ténébreux, l’embrouillé, le vaporeux, le pénible me sont abominables) ; mais, d’un autre côté, je suis diverti par ce naturaliste de volcans, ce Pascal manqué, cet orateur de montagnes qui pérore à la tribune comme ses petits compatriotes chantent au haut d’une cheminée ; j’aime ce gazetier de tourbières et de castels, ce libéral expliquant la Charte à travers une fenêtre gothique, ce seigneur pâtre quasi marié à sa vachère, semant lui-même son orge parmi la neige, dans son petit champ de cailloux : je lui saurai toujours gré de m’avoir consacré, dans son chalet du Puy-de-Dôme, une vieille roche noire, prise d’un cimetière des Gaulois par lui découvert[1].

  1. Montlosier, dont Chateaubriand vient de tracer un si admirable portrait, fut, comme son compatriote, l’abbé de Pradt, un bonhomme très particulier. Après avoir été l’un des adversaires les plus ardents de la Révolution, après avoir, dans son livre sur la Monarchie française (1814), soutenu les théories les plus antidémocratiques, il attaqua, dans son fameux Mémoire à consulter (1826) et dans plusieurs autres écrits, les Jésuites, la Congrégation et le parti-prêtre, avec une âpreté qui lui valut d’être l’un des coryphées du parti libéral. En 1830, il collabora au Constitutionnel ; appelé, en 1832, à la Chambre des