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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

blic est inébranlable, l’homme privé est à la merci de quiconque se veut emparer de lui, et, pour éviter une tracasserie d’une heure, je me rendrais esclave pendant un siècle.

Le consentement de l’aïeul, de l’oncle paternel et des principaux parents fut facilement obtenu : restait à conquérir un oncle maternel, M. de Vauvert[1], grand démocrate ; or, il s’opposa au mariage de sa nièce avec un aristocrate comme moi, qui ne l’étais pas du tout. On crut pouvoir passer outre, mais ma pieuse mère exigea que le mariage religieux fût fait par un prêtre non assermenté, ce qui ne pouvait avoir lieu qu’en secret. M. de Vauvert le sut, et lâcha contre nous la magistrature, sous prétexte de rapt, de violation de la loi, et arguant de la prétendue enfance dans laquelle le grand-père, M. de Lavigne, était tombé. Mlle  de Lavigne, devenue Mme  de Chateaubriand, sans que j’eusse eu de communication avec elle, fut enlevée au nom de la justice et mise à Saint-Malo, au couvent de la Victoire, en attendant l’arrêt des tribunaux.

Il n’y avait ni rapt, ni violation de la loi, ni aventure, ni amour dans tout cela ; ce mariage n’avait que le mauvais côté du roman : la vérité. La cause fut plaidée, et le tribunal jugea l’union valide au civil. Les parents des deux familles étant d’accord, M. de Vauvert se désista de la poursuite. Le curé constitutionnel, largement payé, ne réclama plus contre la

  1. Michel Bossinot de Vauvert, né le 21 décembre 1724 à Saint-Malo, où il mourut le 16 septembre 1809. Il avait été conseiller du roi et procureur à l’amirauté. Sa descendance est représentée aujourd’hui par la famille Poulain du Reposoir. Il était l’oncle à la mode de Bretagne de Mlle  Céleste Buisson de la Vigne.