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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

morante dies, aucun frein n’arrête les jours[1]. » Voyez les vieux sépulcres dans les vieilles cryptes : eux-mêmes vaincus par l’âge, caducs et sans mémoire, ayant perdu leurs épitaphes, ils ont oublié jusqu’aux noms de ceux qu’ils renferment.

J’avais écrit à mon oncle au sujet de la mort de ma mère ; il me répondit par une longue lettre, dans laquelle on trouvait quelques mots touchants de regrets ; mais les trois quarts de sa double feuille in-folio étaient consacrés à ma généalogie. Il me recommandait surtout, quand je rentrerais en France, de rechercher les titres du quartier des Bedée, confié à mon frère. Ainsi, pour ce vénérable émigré, ni l’exil, ni la ruine, ni la destruction de ses proches, ni le sacrifice de Louis XVI, ne l’avertissaient de la Révolution ; rien n’avait passé, rien n’était advenu ; il en était toujours aux États de Bretagne et à l’Assemblée de la noblesse. Cette fixité de l’idée de l’homme est bien frappante au milieu et comme en présence de l’altération de son corps, de la fuite de ses années, de la perte de ses parents et de ses amis.

Au retour de l’émigration, mon oncle de Bedée s’est retiré à Dinan, où il est mort, à six lieues de Monchoix sans l’avoir revu. Ma cousine Caroline, l’aînée de mes trois cousines, existe encore[2]. Elle est restée vieille fille malgré les sommations respectueuses de son an-

  1. C’est un vers d’Ovide :
    Et fugiunt, freno non remorante, dies.
  2. Sur Mlle  Caroline de Bédée, voir, au tome I, la note 2 de la page 36 (note 51 du Livre Premier). Elle survécut à Chateaubriand et mourut à Dinan, le 28 avril 1849. Écrivant, le 15 mars 1834, à sa sœur, la comtesse de Marigny, Chateaubriand lui disait, en terminant sa lettre : « Dis mille choses à Caroline et à notre famille. »