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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

en débarquant ils ne parlaient, d’un air égaré, que crocodiles, cigognes et forêts, leurs parents croyaient qu’ils étaient devenus fous. Parodies, caricatures, moqueries m’accablaient[1]. L’abbé Morellet, pour me

  1. Marie-Joseph Chénier — qui aura justement pour successeur à l’Académie l’auteur d’Atala — fut le plus ardent à critiquer l’œuvre nouvelle, à la couvrir de moqueries en vers et en prose. Sa longue satire des Nouveaux Saints lui est en grande partie consacrée :

    J’entendrai les sermons prolixement diserts
    Du bon monsieur Aubry, Massillon des déserts.
    Ô terrible Atala ! tous deux avec ivresse
    Courons goûter encore les plaisirs de la messe.

    Un petit volume, attribué à Gadet de Gassicourt et qui eut aussitôt plusieurs éditions, avait pour titre : Atala, ou les habitants du désert, parodie d’ATALA, ornée de figures de rhétorique. — Au grand village, chez Gueffier jeune, an IX.

    L’année suivante paraissaient deux volumes intitulés : Résurrection d’Atala et son voyage à Paris. Mme de Beaumont les signalait en ces termes à Chênedollé, dans une lettre du 25 août 1802 : « On a fait une Résurrection d’Atala en deux volumes. Atala, Chactas et le Père Aubry ressuscitent aux ardentes prières des Missionnaires. Ils partent pour la France ; un naufrage les sépare : Atala arrive à Paris. On la mène chez Feydel (l’un des rédacteurs du Journal de Paris à cette époque) qui parie deux cents louis qu’elle n’est pas une vraie Sauvage ; chez l’abbé Morellet, qui trouve la plaisanterie mauvaise ; chez M. de Chateaubriand, qui lui fait vite bâtir une hutte dans son jardin, qui lui donne un dîner où se trouvent les élégantes de Paris : on discute avec lui très poliment les prétendus défauts d’Atala. On va ensuite au bal des Étrangers où plusieurs femmes du moment passent en revue, enfin à l’église où l’on trouve le Père Aubry disant la messe et Chactas la servant. La reconnaissance se fait, et l’ouvrage finit par une mauvaise critique du Génie du Christianisme. Vous croiriez, d’après cet exposé, que l’auteur est païen. Point du tout. Il tombe sur les philosophes ; il assomme l’abbé Morellet, et il veut être plus chrétien que M. de Chateaubriand. La plaisanterie est plus étrange qu’offensante ; mais on cherche à imiter le style de notre ami, et cela me blesse. Le bon esprit de M. Joubert s’accommode mieux de toutes ces petites attaques que moi qui justifie si bien la première partie de ma