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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de l’année au château de Passy[1], près Villeneuve-sur-Yonne, que M. Joubert habitait pendant l’été. Madame de Beaumont revint à Paris et désira me connaître.

Pour faire de ma vie une longue chaîne de regrets, la Providence voulut que la première personne dont je fus accueilli avec bienveillance au début de ma carrière publique fût aussi la première à disparaître. Madame de Beaumont ouvre la marche funèbre de ces femmes qui ont passé devant moi. Mes souvenirs les plus éloignés reposent sur des cendres, et ils ont continué de tomber de cercueil en cercueil ; comme le Pandit indien, je récite les prières des morts, jusqu’à ce que les fleurs de mon chapelet soient fanées.

Madame de Beaumont était fille d’Armand-Marc de Saint-Hérem, comte de Montmorin, ambassadeur de France à Madrid, commandant en Bretagne, membre de l’assemblée des Notables en 1787, et chargé du portefeuille des affaires étrangères sous Louis XVI, dont il était fort aimé : il périt sur l’échafaud, où le suivit une partie de sa famille[2].

  1. Passy, dans l’Yonne, petit village voisin d’Étigny, et à quelques kilomètres de Sens.
  2. Le comte de Montmorin, père de Mme de Beaumont, ne périt point sur l’échafaud ; il fut massacré à l’Abbaye le 2 septembre 1792. « Percé de plusieurs coups en plein corps, dit M. Marcellin Boudet dans son livre sur la Justice révolutionnaire en Auvergne, haché, coupé, tailladé, il vivait encore. Ses bourreaux l’empalèrent et le portèrent ainsi aux portes de l’Assemblée nationale. » Le lendemain, 3 septembre, son cousin, Louis-Victor-Hippolyte-Luce de Montmorin, fut égorgé à la Conciergerie où, par un sanglant déni de justice, il avait été ramené après son acquittement par le tribunal criminel du 17 août. — Mme de Montmorin, mère de Mme de Beaumont, fut guillotinée le 21 floréal an II (10 mai 1794) ; son second fils fut