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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

la justice[1]. Je me rendais chaque soir chez elle, avec ses amis et les miens, M. Joubert, M. de Fontanes, M. de Bonald, M. Molé, M. Pasquier, M. Chênedollé, hommes qui ont occupé une place dans les lettres et dans les affaires.

Plein de manies et d’originalités, M. Joubert[2] man-

  1. M. Pasquier, dans ses Mémoires (t. I, p. 206), dit, de son côté : « J’eus l’occasion de connaître Mme de Beaumont : je lui avais cédé l’appartement que j’occupais rue du Luxembourg (rue Neuve-du-Luxembourg). Le charme de sa personne, son esprit supérieur m’attachèrent bien vite à elle… Seule de sa famille, elle avait survécu, retirée dans une chaumière aux environs de Montbard ; revenue à Paris pour tâcher de retrouver quelques débris de sa fortune, elle ne tarda pas à réunir autour d’elle une société d’élite. Je citerai en première ligne Mme de Vintimille…, Mme de Saussure venait souvent avec Mme de Staël… M. de Fontanes était parmi les habitués, ainsi que M. Joubert… Je citerai encore MM. Gueneau de Mussy, Chênedollé, Molé, parmi ceux qui, presque chaque jour, venaient depuis sept heures jusqu’à onze heures du soir rue de Luxembourg. Enfin, M. de Chateaubriand, qui devait tenir une si grande place dans la vie de Mme de Beaumont ».
  2. Joseph Joubert, né le 6 mai 1754 à Montignac, dans le Périgord. Après avoir professé quelque temps chez les Pères de la Doctrine chrétienne à Toulouse, il vint à Paris en 1778, et s’y lia avec Marmontel, d’Alembert, La Harpe, surtout avec Diderot, et un peu plus tard avec Fontanes. Élu juge de paix à Montignac en 1790, il exerça deux ans ces fonctions, puis se retira en Bourgogne, où il se maria. Il était voisin du château de Passy, où s’étaient réfugiés tous les membres de la famille Montmorin. Tous furent arrêtés au mois de février 1794 par ordre du Comité de sûreté générale, et jetés dans des charrettes qui devaient les conduire à Paris. Au moment où le triste convoi franchissait les grilles du parc, Mme de Beaumont, malade depuis quelque temps, se trouva dans un tel état de faiblesse que les envoyés du Comité, moins peut-être par un sentiment de pitié que par le désir de ne pas retarder le départ, la firent déposer sur le chemin. Elle erra quelque temps dans la campagne en proie à une grande frayeur et fut recueillie par les paysans, à Étigny, non loin de Passy. M. et Mme Joubert