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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

M. de Bonald[1] avait l’esprit délié ; on prenait son ingéniosité pour du génie ; il avait rêvé sa politique métaphysique à l’armée de Condé, dans la Forêt-Noire, de même que ces professeurs d’Iéna et de Gœttingue qui marchèrent depuis à la tête de leurs écoliers et se firent tuer pour la liberté de l’Allemagne. Novateur, quoiqu’il eût été mousquetaire sous Louis XVI, il regardait les anciens comme des enfants en politique et en littérature ; et il prétendait, en employant le premier la fatuité du langage actuel, que le grand maître de l’Université n’était pas encore assez avancé pour entendre cela.

Chênedollé[2], avec du savoir et du talent, non pas naturel, mais appris, était si triste, qu’il se surnom-

  1. Louis-Gabriel-Ambroise, vicomte de Bonald (1754-1840), député de l’Aveyron de 1815 à 1823, pair de France de 1823 à 1830, membre de l’Académie française. Ses principaux ouvrages sont : le Traité du Divorce (1802) ; la Législation primitive, qui parut, la même année, tout à côté du Génie du Christianisme, et dans le même sens réparateur ; les Recherches philosophiques sur les premiers Objets des connaissances morales (1819). Chateaubriand ne rend pas ici suffisante justice à ce grand esprit, pour qui le comte de Marcellus a composé cette épitaphe :

    Hic jacet in Christo, in Christo vixitque Bonaldus ;
     Pro quo pugnavit, nunc videt ipse Deum.
    Græcia miraturque suum jacetque Platonem ;
     Hic par ingenio, sed pietate prior.

  2. Charles-Julien Lioult de Chênedollé (1769-1833). Il partit pour l’émigration, en septembre 1791, fit deux campagnes dans l’armée des Princes, séjourna en Hollande, à Hambourg et en Suisse et rentra en France en 1799. Il a publié en 1807 le Génie de l’homme, poème en quatre chants, l’Esprit de Rivarol en 1808, et en 1820 ses Études poétiques, qui, malgré de grandes qualités et d’heureuses inspirations, furent comme ensevelies dans le triomphe de Lamartine, qui donnait à la même heure ses premières Méditations.