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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Caud, Lucile, se présenta ensuite. M. Joubert et madame de Beaumont se prirent d’un attachement passionné et d’une tendre pitié pour elle. Alors commença entre eux une correspondance qui n’a fini qu’à la mort des deux femmes qui s’étaient penchées l’une vers l’autre, comme deux fleurs de même nature prêtes à se faner. Madame Lucile s’étant arrêtée à Versailles, le 30 septembre 1802, je reçus d’elle ce billet : « Je t’écris pour te prier de remercier de ma part madame de Beaumont de l’invitation qu’elle me fait d’aller à Savigny. Je compte avoir ce plaisir à peu près dans quinze jours, à moins que du côté de madame de Beaumont il ne se trouve quelque empêchement. » Madame de Caud vint à Savigny comme elle l’avait annoncé.

Je vous ai raconté que, dans ma jeunesse, ma sœur, chanoinesse du chapitre de l’Argentière et destinée à celui de Remiremont, avait eu pour M. de Malfilâtre, conseiller au parlement de Bretagne, un attachement qui, renfermé dans son sein, avait augmenté sa mélancolie naturelle. Pendant la Révolution, elle épousa M. le comte de Caud et le perdit après quinze mois de mariage. La mort de madame la comtesse de Farcy[1], sœur qu’elle aimait tendrement, accrut la tristesse de madame de Caud. Elle s’attacha ensuite à madame de Chateaubriand, ma femme, et prit sur elle un empire qui devint pénible, car Lucile était violente, impérieuse, déraisonnable, et madame de Chateaubriand, soumise à ses caprices, se cachait d’elle pour lui rendre les services qu’une amie plus riche rend à une amie susceptible et moins heureuse.

  1. Mme  de Farcy mourut à Rennes le 26 juillet 1799.