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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

dramatiques de l’antiquité, renferment le germe de la critique nouvelle. Les personnages de Racine, comme je l’ai dit, sont et ne sont point des personnages grecs, ce sont des personnages chrétiens : c’est ce qu’on n’avait point du tout compris.

Si l’effet du Génie du Christianisme n’eût été qu’une réaction contre des doctrines auxquelles on attribuait les malheurs révolutionnaires, cet effet aurait cessé avec la cause disparue ; il ne se serait pas prolongé jusqu’au moment où j’écris. Mais l’action du Génie du Christianisme sur les opinions ne se borna pas à une résurrection momentanée d’une religion qu’on prétendait au tombeau : une métamorphose plus durable s’opéra. S’il y avait dans l’ouvrage innovation de style, il y avait aussi changement de doctrine ; le fond était altéré comme la forme ; l’athéisme et le matérialisme ne furent plus la base de la croyance ou de l’incroyance des jeunes esprits ; l’idée de Dieu et de l’immortalité de l’âme reprit son empire : dès lors, altération dans la chaîne des idées qui se lient les unes aux autres. On ne fut plus cloué dans sa place par un préjugé antireligieux ; on ne se crut plus obligé de rester momie du néant, entourée de bandelettes philosophiques ; on se permit d’examiner tout système, si absurde qu’on le trouvât, fût-il même chrétien.

Outre les fidèles qui revenaient à la voix de leur pasteur, il se forma, par ce droit de libre examen, d’autres fidèles à priori. Posez Dieu pour principe, et le Verbe va suivre : le Fils naît forcément du Père.

Les diverses combinaisons abstraites ne font que