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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

l’exemplaire, et me fit un grand éloge de l’ouvrage et de l’auteur. Il habitait un bel hôtel entre cour et jardin. Je crus avoir trouvé la pie au nid : au bout de vingt-quatre heures, je m’ennuyai de suivre la fortune, et je m’arrangeai presque pour rien avec le voleur[1].

Je vis madame de Janson, petite femme sèche, blanche et résolue, qui, dans sa propriété, se battait avec le Rhône, échangeait des coups de fusil avec les riverains et se défendait contre les années.

Avignon me rappela mon compatriote. Du Guesclin valait bien Bonaparte, puisqu’il arracha la France à la conquête. Arrivé auprès de la ville des papes avec les aventuriers que sa gloire entraînait en Espagne, il dit au prévôt envoyé au-devant de lui par le pontife : « Frère, ne me celez pas : dont vient ce trésor ? l’a prins le pape en son trésor ? Et il lui répondit que non, et que le commun d’Avignon l’avoit payé chacun sa portion. Lors, dit Bertrand, prévost, je vous promets que nous n’en aurons denier en notre vie, et voulons que cet argent cueilli soit rendu à ceux qui l’ont payé, et dites bien au pape qu’il le leur fasse rendre ; car si je savois que le contraire fust, il m’en poiseroit ; et eusse ores passé

  1. Je lis, dans la lettre ci-dessus citée, de Chateaubriand à Fontanes, du 6 novembre 1802 : « Si l’on ne contrefait que les bons ouvrages, mon cher ami, je dois être content. J’ai saisi une contrefaçon d’Atala et une du Génie du Christianisme. La dernière était l’importante ; je me suis arrangé avec le libraire ; il me paie les frais de mon voyage, me donne de plus un certain nombre d’exemplaires de son édition qui est en quatre volumes et plus correcte que la mienne ; et moi, je légitime mon bâtard, et le reconnais comme seconde édition… »