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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

À Toulouse, j’aperçus, du pont de la Garonne, la ligne des Pyrénées ; je la devais traverser quatre ans plus tard : les horizons se succèdent comme nos jours. On me proposa de me montrer dans un caveau le corps desséché de la belle Paule : heureux ceux qui croient sans avoir vu ! Montmorency avait été décapité dans la cour de l’hôtel de ville : cette tête coupée était donc bien importante, puisqu’on en parle encore après tant d’autres têtes abattues ? Je ne sais si dans l’histoire des procès criminels il existe une déposition de témoin qui ait fait mieux reconnaître l’identité d’un homme : « Le feu et la fumée dont il étoit couvert, dit Guitaut, m’empêchèrent de le reconnoître ; mais voyant un homme qui, après avoir rompu six de nos rangs, tuoit encore des soldats au septième, je jugeai que ce ne pouvoit être que M. de Montmorency ; je le sus certainement lorsque je le vis renversé à terre sous son cheval mort. »

L’église abandonnée de Saint-Sernin me frappa par son architecture. Cette église est liée à l’histoire des Albigeois, que le poème, si bien traduit par M. Fauriel, fait revivre :

« Le vaillant jeune comte, la lumière et l’héritier de son père, la croix et le fer, entrent ensemble par l’une des portes. Ni en chambre, ni en étage, il ne resta pas une jeune fille ; les habitants de la ville, grands et petits, regardent tous le comte comme fleur de rosier[1]. »

  1. Histoire de la croisade contre les hérétiques albigeois, écrite en vers provençaux par un poète contemporain, et traduite par M. Fauriel, 1837.