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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

L’abbé Émery[1], supérieur du séminaire de Saint-Sulpice, vint me conjurer, au nom du clergé, d’accepter, pour le bien de la religion, la place de premier secrétaire de l’ambassade que Bonaparte destinait à son oncle, le cardinal Fesch[2]. Il me faisait entendre que l’intelligence du cardinal n’étant pas très remarquable, je me trouverais bientôt le maître des affaires. Un hasard singulier m’avait mis en rapport avec l’abbé Émery : j’avais passé aux États-Unis avec l’abbé Nagot et divers séminaristes, vous le savez. Ce souvenir de mon obscurité, de ma jeunesse, de ma vie de voyageur, qui se réfléchissait dans ma vie publique, me prenait par l’imagination et le cœur.

  1. Jacques-André Émery, né le 27 août 1732 à Gex, mort à Issy le 18 avril 1811. Sa Vie a été écrite par M. l’abbé Gosselin (1861), et par M. l’abbé Élie Méric (1894).
  2. Joseph Fesch, né à Ajaccio le 3 janvier 1763. Il était le demi-frère de la mère de Napoléon. À l’époque de la convocation des États-Généraux, il était déjà entré dans les ordres ; mais les premiers événements de la Révolution le firent renoncer à l’état ecclésiastique. D’abord commis aux vivres (garde-magasin), il devint en 1795 commissaire des guerres, et occupa cette place jusqu’au 18 brumaire. Dès que le rétablissement du culte eût été arrêté dans la pensée du Premier Consul, il reprit le costume ecclésiastique, et s’employa très activement dans les négociations qui préparèrent le Concordat (15 juillet 1801). Archevêque de Lyon en 1802, cardinal le 25 février 1803, il fut, le 4 avril suivant, nommé ambassadeur à Rome. En 1805, il fut investi de la charge de grand aumônier. Tombé en disgrâce en 1811, il fut renvoyé par l’Empereur dans son diocèse de Lyon, où il resta jusqu’en 1814. Après l’abdication de Napoléon, il se retira à Rome. Les Cent-Jours le ramenèrent en France et dans son archevêché. Après les Cent-Jours, il se réfugia de nouveau à Rome, où il fixa définitivement sa résidence. Il refusa obstinément, pendant toute la Restauration, de se démettre de son titre d’archevêque de Lyon ; mais il ne put obtenir, malgré l’appui du pape, de rentrer dans son diocèse après la révolution de 1830. Il est mort à Rome le 13 mai 1839.