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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

sentiments pour elle, nous la conservera sans doute. Mon ami, nous ne la perdrons point ; il me semble que j’en ai au-dedans de moi la certitude. Je me plais à penser que, lorsque tu recevras cette lettre, tes soucis seront dissipés. Dis-lui de ma part tout le véritable et tendre intérêt que je prends à elle ; dis-lui que son souvenir est pour moi une des plus belles choses de ce monde. Tiens ta promesse et ne manque pas de m’en donner le plus possible des nouvelles. Mon Dieu ! quel long espace de temps il va s’écouler avant que je ne reçoive une réponse à cette lettre ! Que l’éloignement est quelque chose de cruel ! D’où vient que tu me parles de ton retour en France ? Tu cherches à me flatter, tu me trompes. Au milieu de toutes mes peines, il s’élève en moi une douce pensée, celle de ton amitié, celle que je suis dans ton souvenir telle qu’il a plu à Dieu de me former. Mon ami, je ne regarde plus sur la terre de sûr asile pour moi que ton cœur ; je suis étrangère et inconnue pour tout le reste. Adieu, mon pauvre frère, te reverrai-je ? cette idée ne s’offre pas à moi d’une manière bien distincte. Si tu me revois, je crains que tu ne me retrouves qu’entièrement insensée. Adieu, toi à qui je dois tant ! Adieu, félicité sans mélange ! Ô souvenirs de mes beaux jours, ne pouvez-vous donc éclairer un peu maintenant mes tristes heures ?

« Je ne suis pas de ceux qui épuisent toute leur douleur dans l’instant de la séparation ; chaque jour ajoute au chagrin que je ressens de ton absence, et serais-tu cent ans à Rome que tu ne viendrais pas à bout de ce chagrin. Pour me faire illusion sur ton