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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Voici une prodigieuse misère : trente-cinq ans se sont écoulés depuis la date de ces événements. Mon chagrin ne se flattait-il pas, en ces jours lointains, que le lien qui venait de se rompre serait mon dernier lien ? Et pourtant, que j’ai vite, non pas oublié, mais remplacé ce qui me fut cher ! Ainsi va l’homme de défaillance en défaillance. Lorsqu’il est jeune et qu’il mène devant lui sa vie, une ombre d’excuse lui reste ; mais lorsqu’il s’y attelle et qu’il la traîne péniblement derrière lui, comment l’excuser ! L’indigence de notre nature est si profonde, que dans nos infirmités volages, pour exprimer nos affections récentes, nous ne pouvons employer que des mots déjà usés par nous dans nos anciens attachements. Il est cependant des paroles qui ne devraient servir qu’une fois : on les profane en les répétant. Nos amitiés trahies et délaissées nous reprochent les nouvelles sociétés où nous sommes engagés ; nos heures s’accusent : notre vie est une perpétuelle rougeur, parce qu’elle est une faute continuelle.


Mon dessein n’étant pas de rester à Paris, je descendis à l’hôtel de France, rue de Beaune[1], où madame de Chateaubriand vint me rejoindre[2] pour se rendre

    sode de sa vie, il faut lire les remarquables articles sur les Débuts diplomatiques de Chateaubriand, par M. le comte Édouard Frémy (le Correspondant, numéros de septembre et octobre 1893), et le chapitre V du livre de l’abbé Pailhès sur Chateaubriand, sa femme et ses amis.

  1. Aujourd’hui l’hôtel de France et de Lorraine, au no 5 de la rue de Beaune.
  2. « M. de Chateaubriand descendit dans un modeste hôtel, rue de Beaune, et ne vit d’abord qu’un petit nombre d’amis. Un soin important le préoccupait, sa réunion avec Mme de Chateau-