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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

gence d’un tel acte que je me décidai à le signer. »

Au dire du Mémorial de Saint-Hélène, ces paroles seraient échappées à Bonaparte : « Le duc d’Enghien se comporta devant le tribunal avec une grande bravoure. À son arrivée à Strasbourg, il m’écrivit une lettre : cette lettre fut remise à Talleyrand, qui la garda jusqu’à l’exécution. »

Je crois peu à cette lettre : Napoléon aura transformé en lettre la demande que fit le duc d’Enghien de parler au vainqueur de l’Italie, ou plutôt les quelques lignes exprimant cette demande, qu’avant de signer l’interrogatoire prêté devant le capitaine-rapporteur, le prince avait tracées de sa propre main. Toutefois, parce que cette lettre ne se retrouverait pas, il ne faudrait pas en conclure rigoureusement qu’elle n’a pas été écrite : « J’ai su, » dit le duc de Rovigo, « que, dans les premiers jours de la Restauration, en 1814, l’un des secrétaires de M. de Talleyrand n’a pas cessé de faire des recherches dans les archives, sous la galerie du Muséum. Je tiens ce fait de celui qui a reçu l’ordre de l’y laisser pénétrer. Il en a été fait de même au dépôt de la guerre pour les actes du procès de M. le duc d’Enghien, où il n’est resté que la sentence. »

Le fait est vrai ; tous les papiers diplomatiques, et notamment la correspondance de M. de Talleyrand avec l’empereur et le premier consul, furent transportés des archives du Muséum à l’hôtel de la rue Saint-Florentin ; on en détruisit une partie ; le reste fut enfoui dans un poêle où l’on oublia de mettre le feu : la prudence du ministre ne put aller plus loin