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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

tait à se moquer des croyances dont la superstition lui faisait peur. Elle avait rencontré madame de Krüdener ; la mystérieuse Française n’était illuminée que sous bénéfice d’inventaire ; elle ne plut pas à la fervente Russe, laquelle ne lui agréa pas non plus. Madame de Krüdener dit passionnément à madame de Coislin : « Madame, quel est votre confesseur intérieur ? — Madame, répliqua madame de Coislin, je ne connais point mon confesseur intérieur ; je sais seulement que mon confesseur est dans l’intérieur de son confessionnal. » Sur ce, les deux dames ne se virent plus.

Madame de Coislin se vantait d’avoir introduit une nouveauté à la cour, la mode des chignons flottants, malgré la reine Marie Leczinska, fort pieuse, qui s’opposait à cette dangereuse innovation. Elle soutenait qu’autrefois une personne comme il faut ne se serait jamais avisée de payer son médecin. Se récriant contre l’abondance du linge de femme : « Cela sent la parvenue, disait-elle ; nous autres, femmes de la cour, nous n’avions que deux chemises ; on les renouvelait quand elles étaient usées ; nous étions vêtues de robes de soie, et nous n’avions pas l’air de grisettes comme ces demoiselles de maintenant. »

    au-dessus de ses ouvrages. Il est vrai qu’elle n’en lisait guère d’autres, excepté la Bible qu’elle commentait à sa manière, qui était un peu celle des Juifs. Elle était du reste d’une complète ignorance, mais avec tant d’esprit et une si grande habitude du monde que, dans la conversation, on ne pouvait s’en apercevoir : elle ne savait pas un mot d’orthographe, et cependant elle parlait sa langue avec une pureté et un choix d’expressions remarquables. Personne ne racontait comme elle ; on croyait voir toutes les personnes qu’elle mettait en scène. » — Souvenirs de Mme  de Chateaubriand.