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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Au moment où elle était prête à passer, on soutenait au bord de son lit qu’on ne succombait que parce qu’on se laissait aller ; que si l’on était bien attentif et qu’on ne perdît jamais de vue l’ennemi, on ne mourrait point : « Je le crois, dit-elle ; mais j’ai peur d’avoir une distraction. » Elle expira.

Je descendis le lendemain chez elle ; je trouvai monsieur et madame d’Avaray[1], sa sœur et son beau-frère, assis devant la cheminée, une petite table entre eux, et comptant les louis d’un sac qu’ils avaient tiré d’une boiserie creuse. La pauvre morte était là dans son lit, les rideaux à demi fermés : elle n’entendait plus le bruit de l’or qui aurait dû la réveiller, et que comptaient des mains fraternelles.

Dans les pensées écrites par la défunte sur des marges d’imprimés et sur des adresses de lettres, il y en avait d’extrêmement belles. Madame de Coislin m’a montré ce qui restait de la cour de Louis XV sous Bonaparte et après Louis XVI, comme madame d’Houdetot m’avait fait voir ce qui traînait encore, au XIXe siècle, de la société philosophique.


Dans l’été de l’année 1805, j’allai rejoindre madame de Chateaubriand à Vichy, où madame de Coislin l’a-

  1. Claude-Antoine de Besiade, duc d’Avaray (1740-1829), était, avant la Révolution, lieutenant-général et maître de la garde-robe de Monsieur, comte de Provence. Député aux États-Généraux par la noblesse du bailliage d’Orléans, il fut emprisonné pendant la Terreur, recouvra sa liberté après le 9 Thermidor, émigra et ne rentra en France qu’en 1814. Louis XVIII l’éleva à la pairie le 17 août 1815, le créa duc le 16 août 1817 et le nomma premier chambellan de la cour le 25 novembre 1820. — Ce n’est pas lui, mais son frère, le comte d’Avaray, mort en 1811, qui fut le compagnon d’exil et le principal agent du comte de Provence.