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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Chartreuse, nous franchîmes la porte de la vallée, et nous suivîmes, entre deux flancs de rochers, le chemin montant au monastère. Je vous ai parlé, à propos de Combourg, de ce que j’éprouvai dans ce lieu. Les bâtiments abandonnés se lézardaient sous la surveillance d’une espèce de fermier des ruines. Un frère lai était demeuré là, pour prendre soin d’un solitaire infirme qui venait de mourir : la religion avait imposé à l’amitié la fidélité et l’obéissance. Nous vîmes la fosse étroite fraîchement recouverte : Napoléon, dans ce moment, en allait creuser une immense à Austerlitz. On nous montra l’enceinte du couvent, les cellules, accompagnées chacune d’un jardin et d’un atelier ; on y remarquait des établis de menuisier et des rouets de tourneur : la main avait laissé tomber le ciseau. Une galerie offrait les portraits des supérieurs de la Chartreuse. Le palais ducal à Venise garde la suite des ritratti des doges ; lieux et souvenirs divers ! Plus haut, à quelque distance, on nous conduisit à la chapelle du reclus immortel de Le Sueur.

Après avoir dîné dans une vaste cuisine, nous repartîmes et nous rencontrâmes, porté en palanquin comme un rajah, M. Chaptal[1], jadis apothicaire, puis sénateur, ensuite possesseur de Chanteloup et inventeur du sucre de betterave, l’avide héritier des beaux roseaux indiens de la Sicile, perfectionnés par le soleil d’Otahiti. En descendant des forêts, j’étais occupé des anciens cénobites ; pendant des siècles, ils

  1. Jean-Antoine Chaptal, comte de Chanteloup (1756-1832) ; membre de l’Institut dès la fondation ; ministre de l’Intérieur (1800-1805), sénateur de l’Empire, pair de France de la Restauration.