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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

corps perdu à tous les événements de mon passage dans ce monde. Quelle pitié que l’attention que je me porte ! Dieu ne peut plus m’affliger qu’en toi. Je le remercie du précieux, bon et cher présent qu’il m’a fait en ta personne et d’avoir conservé ma vie sans tache : voilà tous mes trésors. Je pourrais prendre pour emblème de ma vie la lune dans un nuage, avec cette devise : Souvent obscurcie, jamais ternie. Adieu, mon ami. Tu seras peut-être étonné de mon langage depuis hier matin. Depuis t’avoir vu, mon cœur s’est relevé vers Dieu, et je l’ai placé tout entier au pied de la croix, sa seule et véritable place. »


Ce jeudi.

« Bonjour, mon ami. De quelle couleur sont tes idées ce matin ? Pour moi, je me rappelle que la seule personne qui put me soulager quand je craignais pour la vie de madame de Farcy fut celle qui me dit : — Mais il est dans l’ordre des choses possibles que vous mouriez avant elle. Pouvait-on frapper plus juste ? Il n’est rien tel, mon ami, que l’idée de la mort pour nous débarrasser de l’avenir. Je me hâte de te débarrasser de moi ce matin, car je me sens trop en train de dire de belles choses. Bonjour, mon pauvre frère. Tiens-toi en joie. »


Sans date.

« Lorsque madame de Farcy existait, toujours près d’elle, je ne m’étais pas aperçue du besoin d’être en société de pensées avec quelqu’un. Je possédais ce