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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

lontairement mes mains aux fers et je suis entrée dans ces lieux destinés aux seules victimes vouées à la mort. Dans ces demeures, je n’ai eu d’inquiétude que sur ton sort ; sans cesse j’interrogeai sur toi les pressentiments de mon cœur. Lorsque j’eus recouvré la liberté, au milieu des maux qui vinrent m’accabler, la seule pensée de notre réunion m’a soutenue. Aujourd’hui que je perds sans retour l’espoir de couler ma carrière auprès de toi, souffre mes chagrins. Je me résignerai à ma destinée, et ce n’est que parce que je dispute encore avec elle, que j’éprouve de si cruels déchirements ; mais quand je me serai soumise à mon sort… Et quel sort ! Où sont mes amis, mes protecteurs et mes richesses ! À qui importe mon existence, cette existence délaissée de tous, et qui pèse tout entière sur elle-même ? Mon Dieu ! n’est-ce pas assez pour ma faiblesse de mes maux présents, sans y joindre encore l’effroi de l’avenir ? Pardon, trop cher ami, je me résignerai ; je m’endormirai d’un sommeil de mort sur ma destinée. Mais, pendant le peu de jours que j’ai affaire dans cette ville, laisse-moi chercher en toi mes dernières consolations ; laisse-moi croire que ma présence t’est douce. Crois que, parmi les cœurs qui t’aiment, aucun n’approche de la sincérité et de la tendresse de mon impuissante amitié pour toi. Remplis ma mémoire de souvenirs agréables qui prolongent auprès de toi mon existence. Hier, lorsque tu me parlas d’aller chez toi, tu me semblais inquiet et sérieux, tandis que tes paroles étaient affectueuses. Quoi, mon frère, serais-je aussi pour toi un sujet d’éloignement et d’ennui ? Tu sais que ce n’est pas moi