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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

nous arrivâmes au carrefour d’un bois où quelques rossignols chantaient en tardivité. Une compagnie de hulans qui se tenait derrière une haie fondit sur nous le sabre haut. Nous criâmes : « Officiers qui vont rejoindre les princes ! » Nous demandâmes à être conduits à Tournay, déclarant être en mesure de nous faire reconnaître. Le commandant du poste nous plaça entre ses cavaliers et nous emmena.

Quand le jour fut venu, les hulans aperçurent nos uniformes de gardes nationaux sous nos redingotes, et insultèrent les couleurs que la France allait faire porter à l’Europe vassale.

Dans le Tournaisis, royaume primitif des Franks, Clovis résida pendant les premières années de son règne ; il partit de Tournay avec ses compagnons, appelé qu’il était à la conquête des Gaules : « Les armes attirent à elles tous les droits, » dit Tacite. Dans cette ville d’où sortit en 486 le premier roi de la première race, pour fonder sa longue et puissante monarchie, j’ai passé en 1792 pour aller rejoindre les princes de la troisième race sur le sol étranger, et j’y repassai en 1815, lorsque le dernier roi des Français abandonnait le royaume du premier roi des Franks : omnia migrant.

Arrivé à Tournay, je laissai mon frère se débattre avec les autorités, et sous la garde d’un soldat je visitai la cathédrale. Jadis Odon d’Orléans, écolâtre de cette cathédrale, assis pendant la nuit devant le portail de l’église, enseignait à ses disciples le cours des astres, leur montrant du doigt la voix lactée et les étoiles. J’aurais mieux aimé trouver à Tournay ce naïf astronome du XIe siècle que des Pandours. Je me plais à