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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

ces temps où les chroniques m’apprennent, sous l’an 1049, qu’en Normandie un homme avait été métamorphosé en âne : c’est ce qui pensa m’arriver à moi-même, comme on l’a vu, chez les demoiselles Couppart, mes maîtresses de lecture. Hildebert, en 1114, a remarqué une fille des oreilles de laquelle sortaient des épis de blé : c’était peut-être Cérès. La Meuse, que j’allais bientôt traverser, fut suspendue en l’air l’année 1118, témoin Guillaume de Nangis et Albéric. Rigord assure que l’an 1194, entre Compiègne et Clermont en Beauvoisis, il tomba une grêle entremêlée de corbeaux qui portaient des charbons et mettaient le feu. Si la tempête, comme nous l’assure Gervais de Tilbury, ne pouvait éteindre une chandelle sur la fenêtre du prieuré de Saint-Michel de Camissa, par lui nous savons aussi qu’il y avait dans le diocèse d’Uzès une belle et pure fontaine, laquelle changeait de place lorsqu’on y jetait quelque chose de sale : les consciences d’aujourd’hui ne se dérangent pas pour si peu. — Lecteur, je ne perds pas de temps ; je bavarde avec toi pour te faire prendre patience en attendant mon frère qui négocie : le voici ; il revient après s’être expliqué, à la satisfaction du commandant autrichien. Il nous est permis de nous rendre à Bruxelles, exil acheté par trop de soin.


Bruxelles était le quartier général de la haute émigration : les femmes les plus élégantes de Paris et les hommes les plus à la mode, ceux qui ne pouvaient marcher que comme aides de camp, attendaient dans les plaisirs le moment de la victoire. Ils avaient de beaux uniformes tout neufs : ils paradaient de toute la rigueur