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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

de Charlemagne, comme un drapeau-lige au fief dominant. Nos rois prêtaient ainsi foi et hommage, en prenant possession de l’héritage de l’Éternité ; ils juraient, entre les genoux de la mort, leur dame, qu’ils lui seraient fidèles, après lui avoir donné le baiser féodal sur la bouche. Du reste, c’était la seule suzeraineté dont la France se reconnût vassale. La cathédrale d’Aix-la-Chapelle fût bâtie par Karl le Grand et consacrée par Léon III. Deux prélats ayant manqué à la cérémonie, ils furent remplacés par deux évêques de Maëstricht, depuis longtemps décédés, et qui ressuscitèrent exprès. Charlemagne, ayant perdu une belle maîtresse, pressait son corps dans ses bras et ne s’en voulait point séparer. On attribua cette passion à un charme : la jeune morte examinée, une petite perle se trouva sous sa langue. La perle fut jetée dans un marais ; Charlemagne, amoureux fou de ce marais, ordonna de le combler : il y bâtit un palais et une église, pour passer sa vie dans l’un et sa mort dans l’autre. Les autorités sont ici l’archevêque Turpin et Pétrarque.

À Cologne, j’admirai la cathédrale : si elle était achevée, ce serait le plus beau monument gothique de l’Europe. Les moines étaient les peintres, les sculpteurs, les architectes et les maçons de leurs basiliques ; ils se glorifiaient du titre de maître maçon, cœmentarius.

Il est curieux d’entendre aujourd’hui d’ignorants philosophes et des démocrates bavards crier contre les religieux, comme si ces prolétaires enfroqués, ces ordres mendiants à qui nous devons presque tout, avaient été des gentilshommes.