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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

« Ce chevalier Vert, messieurs, vous le savez, puisque vous l’avez vu, était fort beau : quand le vent rebroussait ses cheveux roux sur son casque, cela ressemblait à un tortis de filasse autour d’un turban vert. »

L’assemblée : « Bravo ! »

« Par une soirée de mai, il sonna du cor au pont-levis d’un château de Picardie, ou d’Auvergne, n’importe. Dans ce château demeurait la Dame des grandes compagnies. Elle reçut bien le chevalier, le fit désarmer, conduire au bain et se vint asseoir avec lui à une table magnifique ; mais elle ne mangea point, et les pages-servants étaient muets. »

L’assemblée : « Oh ! oh ! »

« La dame, messieurs, était grande, plate, maigre et disloquée comme la femme du major ; d’ailleurs beaucoup de physionomie et l’air coquet. Lorsqu’elle riait et montrait ses dents longues sous son nez court, on ne savait plus où l’on en était. Elle devint amoureuse du chevalier et le chevalier amoureux de la dame, bien qu’il en eût peur. »

Dinarzade vida la cendre de sa pipe sur la jante de la roue et voulut recharger son brûle-gueule ; on le força de continuer :

« Le chevalier Vert, tout anéanti, se résolut de quitter le château ; mais, avant de partir, il requiert de la châtelaine l’explication de plusieurs choses étranges ; il lui faisait en même temps une offre loyale de mariage, si toutefois elle n’était pas sorcière. »

La rapière de Dinarzade était plantée droite et roide entre ses genoux. Assis et penchés en avant,