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MÉMOIRES D’OUTRE-TOMBE

Paris semblait s’éloigner. Le mauvais temps ne cessait ; nous étions inondés au milieu de nos travaux ; je m’éveillais quelquefois dans un fossé avec de l’eau jusqu’au cou : le lendemain j’étais perclus.

Parmi mes compatriotes, j’avais rencontré Ferron de La Sigonnière[1], mon ancien camarade de classe à Dinan. Nous dormions mal sous notre pavillon ; nos têtes, dépassant la toile, recevaient la pluie de cette espèce de gouttière. Je me levais et j’allais avec Ferron me promener devant les faisceaux, car toutes nos nuits n’étaient pas aussi gaies que celles de Dinarzade. Nous marchions en silence, écoutant la voix des sentinelles, regardant la lumière des rues de nos tentes, de même que nous avions vu autrefois au collège les lampions de nos corridors. Nous causions du passé et de l’avenir, des fautes que l’on avait commises, de celles que l’on commettrait ; nous déplorions l’aveuglement des princes, qui croyaient revenir dans leur patrie avec une poignée de serviteurs, et raffermir par le bras de l’étranger la couronne sur la tête de leur frère. Je me souviens d’avoir dit à mon camarade, dans ces conversations, que la France vou-

    Castries. Le second (cinq mille hommes) était sous les ordres du prince de Condé. Le troisième corps, sous les ordres du duc de Bourbon, comprenait quatre à cinq mille émigrés cantonnés dans les Pays-Bas autrichiens. Les émigrés de Bretagne faisaient partie de ce troisième corps. (Histoire de l’armée de Condé, par René Bittard des Portes, p. 27.)

  1. François-Prudent-Malo Ferron de la Sigonnière, né dans la paroisse de Saint-Samson, près de Dinan, le 6 juin 1768. Il était l’un des quatorze enfants de François-Henri-Malo Ferron de la Sigonnière, marié, le 4 mai 1762, à Anne-Gillette-Françoise Anger des Vaux. Le camarade de Chateaubriand est mort au château de la Mettrie, en Saint-Samson, le 14 mai 1815.